Nam avril 2023

Date de parution: 24.04.2023

éditorial
Quand les masques tombent

Oubliés les conflits frontaliers, vieux de trois siècles, entre la Chine et la Russie! Le printemps 2023 scelle désormais l’alliance de deux grandes puissances et laisse présager un regain de tensions visant à bouleverser l’ordre international. «Une nouvelle ère commence», a dit l’empereur en serrant la main du tsar. En clair: une nouvelle ère d’expansion sous l’étendard totalitaire.

Les masques sont tombés et l’agression de l’Ukraine par la Russie porte un message lourd de sens: une troisième guerre mondiale est toujours possible. Quant à l’apparente neutralité de la Chine au début du conflit, ce n’était finalement qu’un artifice dans le déroulement d’un scénario pensé de longue date. Chaque pièce du puzzle est en train de se mettre en place, froidement, systématiquement. Et les deux potentats sont prêts à partir ensemble à la conquête du leadership mondial.

C’est dans ce contexte hautement conflictuel que la Suisse, pays géographiquement minuscule à l’échelle planétaire, doit trouver un équilibre pour garantir son indépendance et sa sécurité. Disons-le sans détour: le concept de neutralité différenciée en a pris un sacré coup quand il a fallu suivre, un peu mais pas trop tout de même, les décisions de l’Union européenne, elle-même chaperonnée par l’anglosphère.

Certes, il n’est pas question d’envoyer des armes dans les zones de conflit, comme en Ukraine. En revanche, on ne voit pas pourquoi la Pologne ou la Tchéquie ne devraient pas recevoir les chars Léopard que la Suisse n’utilise pas. De même qu’on ne voit pas pourquoi l’Allemagne ne devrait pas disposer librement de la munition achetée à notre industrie. Il est grand temps que le Conseil fédéral adapte ses vieux schémas de réflexion aux conditions géopolitiques de ce siècle!

La neutralité à géométrie variable passe mal, le plus souvent pour de l’hypocrisie mercantile. D’autant que la Suisse n’est en rien responsable des décisions prises par d’autres Gouvernements. De quoi se mêle-t-on? Le matériel acquis hors conflit relève de leur seule compétence. Que penseriez-vous d’un garagiste qui vous interdirait de conduire la voiture qu’il vous a vendue, sur les routes qui lui déplaisent?

Les Suisses ne sont pas dupes. Ils ont pris conscience du fait que les conditions sécuritaires se sont terriblement dégradées et que la tactique du hérisson ne suffit pas. C’est pourquoi la majorité de la population veut désormais un rapprochement rapide avec l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Datant de 1949, ce traité stipule en particulier à son article 5 que «les Parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les Parties». Et les membres réagiront en conséquence, y compris par «l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord.»

Ministre de la défense, la Conseillère fédérale Viola Amherd l’a bien compris, tant sur le plan politique que matériel. Sans être prise de «fièvre guerrière», elle sait pertinemment qu’il n’y a aujourd’hui pas de meilleure garantie sécuritaire qu’une coopération, une interopérabilité poussée de nos forces armées avec celles de l’OTAN et de nos voisins.

En signant le contrat d’achat du nouvel avion de combat F-35 (lire la Chronique fédérale), en se rendant à Bruxelles pour rencontrer le secrétaire général Jens Stoltenberg et participer au Conseil de l’Atlantique Nord, Viola Amherd démontre sans équivoque cette volonté de la Suisse d’agir pour la défense et la stabilité du Vieux Continent. Un acte politique fort et bienvenu.

José Bessard