Nam avril 2022

Date de parution: 13.05.2022

éditorial
L’Attila de Saint-Pétersbourg

Naïfs, les Occidentaux? Eux qui croyaient avoir trouvé dans l’homme fort du Kremlin un partenaire solide en affaires; un peu bagarreur du côté du Moyen-Orient, certes, mais surtout gros pourvoyeur de gaz et de pétrole. Au fil des ans, le monde a vu cet ex-bras droit de Boris Eltsine s’installer aux commandes de la Fédération de Russie, renforcer son pouvoir en éliminant tous ses rivaux, et finalement régner seul, en tsar incontesté.

Après le ménage interne, les ambitions d’expansion territoriale se sont faites plus pressantes et dans ces cas-là, l’histoire a toujours bon dos. Elle permet de légitimer en apparence les revendications et les invasions brutales qui s’ensuivent. L’annexion de la Crimée en 2014 a servi de premier test. A l’aune des réactions internationales, Moscou peut considérer que la manœuvre a plutôt bien réussi.

Ce n’était qu’un amuse-bouche. Pour conquérir l’Ukraine, il faut bien davantage que quelques milices locales. Il s’agit de planifier soigneusement non seulement les opérations sur le terrain mais aussi contenir les potentielles interventions d’autres armées, États-Unis en tête.

Comme l’araignée qui tisse sa toile, Vladimir Poutine a patiemment attendu que son arsenal acquiert une force redoutable, qui tienne à distance les grandes puissances. En 2018, il a ainsi pu annoncer au monde que ses forces aériennes avaient mis au point des missiles hypersoniques opérationnels. Ces missiles volent entre Mach 6 et Mach 27 (33?000 km/h!) selon la variante, tout en restant capables de changer de cap et d’altitude, ce qui les rend quasi invincibles. Et naturellement, ils peuvent porter des charges conventionnelles ou nucléaires…

Le message ne saurait être plus clair à l’adresse des Américains: «Ne nous importunez pas, sinon nous vous enverrons nos boules de feu atomique!» Quatre ans plus tard, au sommet de sa puissance, le nouvel Attila peut lancer son «opération militaire spéciale». Nous sommes le 24 février 2022. Le monde bascule dans la terreur. Centrales nucléaires, hôpitaux, écoles, les missiles russes ne visent pas seulement des cibles militaires mais délibérément des installations civiles; histoire de bien faire comprendre à la population et à son gouvernement qu’ils doivent se soumettre sur-le-champ.

Il n’y a pas de guerre propre, mais celle-ci est particulièrement cynique. Des femmes, des enfants, des innocents sont sciemment exécutés pour l’exemple. Dans les plans de l’État-major russe, l’être humain n’a aucune valeur. Il s’agit de prendre ce territoire, quel qu’en soit le prix. Point.

Est-ce que les guerres mondiales du siècle passé n’auraient servi à rien? Faux. Les grandes puissances savent qu’un conflit entre elles ravagerait définitivement la planète et qu’il y a un intérêt prépondérant à promouvoir la stabilité et la paix. A ce titre, tout peuple a le droit intangible de s’autodéterminer. Et les démocraties occidentales ne peuvent pas laisser faire une horde de criminels de guerre; d’autant que d’autres États sont aujourd’hui directement menacés, que ce soient la Moldavie, les pays baltes ou scandinaves.

La Russie devra nécessairement rendre des comptes à la communauté internationale, même s’il est encore trop tôt pour mesurer les véritables conséquences de cette guerre et les perspectives sociales, économiques et militaires qui en découleront. L’histoire nous apprend toutefois que l’empire des Huns s’est effondré à la mort d’Attila.

José Bessard